La pensée humaine par Daniel Kahneman, ou un aller simple dans notre cerveau

Pensée : activité psychique assez…fréquente, non ?

 

Pensée

Thème : Pensée humaine

Titre : Système 1, Système 2Thinking fast and slow

Auteur : Prix Nobel d’Economie en 2002, Daniel Kahneman, bien que plutôt psychologue qu’économiste, reste aujourd’hui une pointure dans l’étude de la pensée humaine. Thinking fast and slow est en quelques sortes un condensé de ses travaux qui l’ont mené à la distinction suprême. Car à 79 ans, D. Kahneman est bel et bien dans la phase de sagesse de sa vie, ayant accumulé nombre d’études et de réflexions et portant un regard d’ensemble sur sa vie.

On retiendra notamment de sa brillante carrière ses avancées sur le thème de la prise de décision en compagnie d’Amos Tversky, autre chercheur de renom et expert en psychologie mathématique, mort en 1996, qui apporte une vision nuancée à celle de Kahneman. L’article Le Jugement dans l’incertitude : Heuristique et biais paru en 1974 dans Science en est un peu le concentré et le suprême.

Date de parution : 2011.

Nombre de pages : 431 pages.

Temps de lecture : 17h30.

L’idée en moins de 60 mots : Les sentiments humains sont complexes et sont fortement liés au contexte et aux signaux envoyés par nos perceptions. On distingue la pensée instinctive et la pensée réfléchie, entre lesquelles il faut trouver le bon rapport. Les décisions cruciales doivent faire preuve d’objectivité en se basant sur des faits et non des impressions vagues, des influences extérieures ou des raccourcis cognitifs.

3 meilleures citations :

« Notre conviction réconfortante que le monde fait sens repose sur une base solide : notre capacité quasi-infinie à ignorer notre ignorance. »

« Les pertes nous impactent environ deux fois plus que les mêmes gains, dans de nombreuses situations. »

« Les goûts et les décisions sont mis en forme par nos souvenirs, et nos souvenirs peuvent être erronés. »

Notes :

Facilité de lecture : 7/10 le bouquin de Daniel Kahneman est une véritable synthèse de ses nombreux travaux et articles sur le sujet de la pensée humaine et de la prise de décision. Il en ressort un livre dense, riche en explications. Il faut donc être un minimum attentif pour suivre…avant de s’endormir ça pourra être une bonne méthode pour trouver le sommeil mais certainement pas un bon moyen de s’approprier les idées géniales de ce livre. Bon point : l’enchaînement des chapitres est très bien construit et on ne se retrouve jamais avec un chapitre géant (environ 10 pages en moyenne / chapitre).

Dans la tendance actuelle : 9/10 – la pensée humaine sera toujours d’actualité ! Et l’angle d’attaque choisi par l’auteur est clairement intemporel. Il fournit cependant des exemples, mais très récents étant donné la date de parution (2011).

Pertinence / Originalité des idées développées : 9/10 – on a affaire ici à l’exposé d’un expert dans son domaine, aidé en plus par des pointures en économie (et autres domaines abordés). Alors question pertinence rien à redire. Ca se vérifie d’ailleurs à chaque chapitre.

Applicabilité des conseils : 9,5/10 – la pensée humaine c’est notre affaire de tous les jours. En plus les procédés abordés nous concernent vraiment et on s’y retrouve facilement.

Note globale : 8,6/10                 

3 actions retenues :

  • Dans la même logique que Smart choices, la 1ère idée retenue est d’opérer ses choix avec une attention décuplée. En effet nos décisions peuvent et sont souvent fortement orientées par le contexte : ressenti du moment, présentation des alternatives, barrières mentales fixées arbitrairement,… On le voit bien dans How to lie with statistics, faire passer un message erroné est très facile au vu de la réceptivité de nos sens, perméables à tout si notre intellect ne prend pas un peu les rênes !
  • La peur de perdre (nos biens, nos acquis, nos êtres chers,…) est un sentiment très répandu et tout à fait compréhensible. Cependant il est trop souvent exagéré, dans le sens où l’on se complait dans notre situation actuelle sans vraiment se projeter sur un changement potentiellement bénéfique pour nous. Vivre une perte c’est aussi gagner la liberté de changer, voire gagner en potentiel et en possibilités. Tout ne ressort pas négatif et monochrome d’une perte ! Il faut être prêt à prendre des risques – certes mesurés – plutôt que de végéter dans le status-quo.
  • Notre cerveau nous guide tous les jours, que ça soit de manière quasi-automatique lorsque l’on conduit une voiture, ou de manière réfléchie, lors d’un choix exigeant. Moteur de notre vie, il est indispensable. Mais attention à ne pas lui accorder trop facilement notre confiance, notamment pour les actions répétitives et routinières. Il faut être prêt à bousculer ces routines et surtout intégrer dans nos réflexions la grande part d’aléas que comporte la vie. Notre théorie d’entre nos 2 oreilles est bien souvent bousculée par les réalités hasardeuses de la vie.

Synthèse :

WYSIATI : YAMAKASI ?

Non je n’ai pas encore craqué sous l’effet des 1,5 tonnes de cocaïne récupérées récemment dans les soutes d’un avion Air France. WYSIATI signifie simplement « What You See Is All There Is », ou encore « Ce que Tu Voies Est Tout Ce qu’il y A ». Ca donnerait CTVETCA en français. Pas terrible…

En tous cas c’est une piqûre de Daniel Kahneman pour nous rappeler l’opposé de WYSIATI : garde à ne pas se laisser conduire uniquement par nos impressions, notamment visuelles. Le sentiment donné sur une personne uniquement au vu de son physique est un procédé récurrent, appelé parfois l’effet « halo ». Parfois validé, parfois invalidé par la suite, il laisse une grande place au hasard dans les faits réels. On se forge un avis et il est quelques fois difficile de s’en débarrasser par la suite. On dit d’ailleurs souvent que la « 1ère impression est la bonne ». Mais n’est-ce pas justement parce que notre intuition reste accrochée dure comme fer à son 1er jugement si on lui laisse les rênes ? On retrouve les mêmes réflexions quand il s’agit de sujets d’actualité ou d’évènements du quotidien. On jugera très facilement sans base de connaissances sur laquelle s’appuyer, alors que dans l’idéal il faudra toujours essayer de s’appuyer sur des faits, si possible réels J !

La sauce avant le plat

Si je vous dis : « été », « soleil », « terrasse », « repas », vous pensez « barbecue ». Maintenant si je vous dit « hiver », « neige », « cheminée », « repas », vous pensez plutôt « fondue » ou « raclette », non ? Simplement pour illustrer le fait que le contexte est essentiel dans la pensée humaine. Dans le cadre d’une étude, des personnes devaient comptabiliser les passes au cours d’un extrait d’un match de basket. Durant la vidéo, un gorille faisait brièvement son apparition. Les limites de notre cerveau ont fait qu’une majorité des personnes de cette étude ont tout simplement « zappé » le gorille.

Autre illustration : goûtez le même vin dans un gobelet en plastique puis dans un verre à pied (soyons fous, en cristal !). Qui pense que le ressenti sera identique ? Je vous conseille de tenter l’expérience si ce n’est déjà fait.

Conclusion : prenez garde au contexte qui vous oriente (parfois mal) dans vos réflexions ! Pour conserver toute l’objectivité du regard humain, un bon conseil est de juger le plus possible sur la base de faits évalués indépendamment de l’humeur, des préjugés et autres influences néfastes, notamment à l’aide de grilles de décision identiques entre les différentes évaluations.

La moyenne…tout juste !

Combien de conclusions hâtives sont tirées de rapides observations : popularité des politiques, cours de bourse, résultats sportifs,… Exemple : Roger Federer perd un match : « ça y est, il est fini, l’heure de la retraite a sonné. » Deux mois plus tard, il remporte deux tournois consécutifs : « Roger est au sommet de son art,…BLA BLA BLA. » Les idées fusent très vite et on a vite fait de se perdre si l’on prend pour valides toutes les théories fumeuses qui sont avancées, en particulier sur les chaînes d’infos en continu qui font réagir des « experts » en direct sur des évènements dont on ne connaît encore même pas les tenants et les aboutissants. Je repense à l’accident ferroviaire de Bretigny-sur-Orge, où même pas 15 minutes après, toutes les hypothèses inimaginables étaient envisagées…

On dit souvent « le vent a tourné » lorsque que la réussite est moins là. Et bien c’est tout à fait la réalité. Il ne s’agit pas du vent, non – sauf peut-être lors du Vendée Globe – mais bel et bien de la part de chance que comportent nos vies. Considérons notre « vrai » niveau moyen dans chaque domaine. On sera alors toujours autour de cette valeur, à plus ou moins quelques longueurs : mes hommages ici aux aléas de la vie. Il en faut et heureusement d’ailleurs sinon toute notre vie serait programmée et millimétrée.

Les barrières mentales liées à la perte et à la peur de perdre

Pour équilibrer le sentiment de risque et encaisser la potentielle déconvenue d’une perte, Daniel Kahneman nous explique qu’un ratio compris entre 1,5 et 2,5 existe dans notre cerveau, entre les gains potentiels et les pertes potentielles d’un quelconque « deal ». Cela signifie que pour qu’un pari vous semble intéressant, il faudrait en misant 100€ pouvoir gagner 250€ au minimum dans un cas et perdre nos 100€ dans l’autre. En-dessous de 150€ de gains potentiels (250€ – 100€), soit nous avons affaire à un flambeur, soit nous refusons de prendre le pari car cela implique trop de conséquences négatives en cas de perte. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous sommes plus enclins à choisir un gain sûr plutôt qu’un gain potentiel plus élevé mais incertain. Et de la même manière nous préférons souvent parier sur une perte quitte à perdre plus. Cela nous permet de garder un espoir de ne rien perdre, alors qu’une perte sûre, même plus faible, reste certaine !

On rejoint là l’idée qu’il est plus dur pour le cerveau humain de perdre quelque chose que d’en obtenir une autre. C’est ce que Richard Rosett appelle l’ « effet de continuité ».

Bernoulli s’est planté…nous aussi !

Dans sa théorie de l’ « utilité », Daniel Bernoulli nous explique que la valeur réellement appréciée d’un gain n’est pas proportionnelle à la somme gagnée. On tirera le même bénéfice psychologique de passer de 0€ à 100€ que de passer de 100€ à 10000€. Sur une échelle logarithmique, qui se tasse donc fortement avec le niveau de gain, Bernoulli traduit un gain ou une perte en valeur d’ « utilité ».

utilité

L’erreur de notre ami Daniel est qu’il ne prend pas en compte le point de référence, autrement dit le niveau de richesse initial de la personne concernée. Car il est clair qu’un même gain sera vécu différemment selon la richesse initiale des personnes concernées, puisque remporter 200€ n’aura pas du tout le même goût selon que vous avez 8 ans et uniquement de l’argent en chocolat dans votre coffre ou que vous vous appelez Bill Gates et possédez des milliards…

Toujours est-il que la théorie de Bernoulli a quand même du bon et elle permet d’expliquer pas mal de choses. Il est d’ailleurs important de connaître les « faiblesses » de notre cerveau pour adapter notre comportement en fonction et être sur nos gardes aux bons moments !

Une autre faiblesse de notre machine à penser se produit dans le ressenti de la douleur. Bref résumé des expériences narrées par Kahneman : l’homme retient le pic de douleur maximal ainsi que le dernier niveau d’intensité de la douleur lors d’une période de souffrances. Ainsi la durée de la douleur est loin d’être traumatisante pour notre cerveau. Une douleur faible et durable sera donc mieux vécue qu’une très brève et brutale douleur. Etonnant, non ? Quant à trouver le compromis idéal pour laisser le moins de séquelles au corps humain, on est loin de clore ce débat !

Conclusion : Résumées et condensées ici, les idées développées par Daniel Kahneman sont expliquées et illustrées à merveille et ses expériences « psychologiques » sont un pur bonheur, en plus d’être une preuve de la grande intelligence de l’auteur. Thinking fast and slow  est certainement une de mes 2 meilleures lectures de ce Personal MBA jusque là. Il mérite clairement une lecture attentive et une synthèse pour en extraire et en conserver la crème !

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